Le male gaze, c’est quoi ?

Dans la continuité de mon article sur les injonctions à porter un soutien-gorge, je vous propose de décrypter ce terme largement utilisé par les féministes : le male gaze. Que veut-il dire ? D’où vient-il ? Pourquoi est-il important qu’hommes et femmes en prennent conscience ? Ce sont les questions auxquelles je vais répondre. 

Temps de lecture : 10 minutes. 

Définition du male gaze

Le male gaze, ou regard masculin, désigne le fait que le regard dominant dans la pop culture (cinéma, séries, magazines, jeux vidéos, etc) serait celui d’un homme hétérosexuel. C’est-à-dire que toutes les images que l’on voit, vont être les fantasmes potentiels d’un homme hétérosexuel. Cela s’accompagne systématiquement d’une objectivation de la femme, qui ne devient plus qu’un corps décortiqué pour plaire aux hommes : fesses, seins, pieds (coucou Tarantino), lèvres, etc. 

Concrètement, cela se traduit – notamment au cinéma – par des gros plans sur des fesses ou des seins ; par une nudité fréquente de la femme, par un rapport non équitable des images entre hommes et femmes, par un point de vue dominant sur la femme. Les films de James Bond en sont un excellent exemple. D’ailleurs, j’étais une adepte de ces films étant plus jeune… Depuis que j’ai pris conscience du male gaze, impossible pour moi de les apprécier. 

“Ce sont ces scènes de cinéma innombrables, et auxquelles on ne fait même plus attention, dans lesquelles les femmes sont objectifiées, présentées principalement comme des objets de désir, ramenées à leur corps, filmées en tenues sexy, alors que les hommes ne le sont jamais –ou presque. Ce sont les James Bond Girls.”

source : https://cutt.ly/Ogi9xfV

Un autre exemple encore plus criant : Mektoub my love de Kechiche. Je n’ai pas vu ce film puisque je m’en serai probablement offusquée dès les premières secondes, mais si vous souhaitez voir un film qui est un peu… la traduction la plus distincte du male gaze, regardez-le ou lisez l’article de Slate. 

Qui est à l’origine de ce concept ?

C’est Laura Mulvey qui conceptualise le terme, en 1975 dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema. Elle est critique cinématrographique, réalisatrice et féministe. 

Dans cet article (que je n’ai pas lu, je regroupe simplement les informations trouvées çà et là), elle démontre que les films produits par Hollywood façonnent une femme soumise et sexualisée à travers la caméra, puis à travers le regard du héros masculin. L’homme regarde, la femme est regardée. Les spectateurs et spectatrices s’identifient au regard de la caméra qui fait office de relais entre eux et le héros. L’imaginaire collectif se développe autour de cette objectivation de la femme.
Elle s’appuie notamment sur le concept philosophique freudien de la scopophilie, le fait de prendre plaisir en regardant quelqu’un qui ne sait pas qu’il/elle est regardé.e. Cela induit immédiatement un rapport de domination entre la personne qui regarde et la personne regardée. 

Plus encore : Laura Mulvey théorise l’idée que le cinéma participe à la banalisation des violences véhiculées à l’encontre des femmes. Des violences physiques, verbales, psychologiques qui font parti de l’érotique du paysage cinématographique. 

Alors oui. Les choses évoluent et c’est tant mieux. Toutefois, il est indispensable que femmes ET hommes prennent conscience de ce male gaze… pour tenter de s’en défaire. 

Pourquoi c’est un problème ? 

Le male gaze façonne les femmes 

Hommes autant que femmes, nous regardons les mêmes films, du même point de vue puisqu’il s’agit de celui du réalisateur. On va voir des corps de femmes décortiqués, des femmes dont le rôle n’est pas crucial, des femmes filmées du dessus… Bref, des femmes dominées. Le gros problème avec ça, c’est que notre imaginaire se compose de ce que l’on voit. 

Les conséquences sont nombreuses sur les femmes. Nous grandissons avec ces images de l’homme qui prend la femme, de l’homme qui domine. On apprend la domination homme – femme à travers les images, à travers ce que l’on voit. Et ce que l’on voit impacte notre imaginaire aussi bien positivement que négativement. Selon Iris Brey, “les femmes s’identifient à travers le héros masculin”. Nous n’avons donc pas de références avec lesquelles grandir, s’épanouir, ou dans lesquelles nous pouvons réellement nous reconnaître. Et c’est valable également avec les hommes, qui grandissent avec une référence stéréotypée de l’homme viril : celui qui prend. Pas celui qui écoute, qui est sensible, qui ne prend pas toute la place, etc. 

De plus, le male gaze façonne les femmes à tel point qu’il façonne nos corps, le corps idéal. Celui qui rentre dans la norme, qui est acceptable par notre société. Je vous invite à lire (ou relire) cet article sur les injonctions au soutien-gorge pour explorer le sujet. On en vient à mépriser notre corps puisqu’il ne convient pas au male gaze. 

Le male gaze participe à la culture du viol

Comme mentionné au-dessus, le regard masculin va avoir un impact sur le rapport dominant/dominé en faisant de la femme un objet sexuel. Les images seront aussi toujours montrer du point de vue de l’homme qui regarde, qui domine, qui prend, jamais ou rarement du point de vue de la femme – ou d’un point de vue équitable. 

“Les histoires qui nous sont racontées sont d’abord des histoire pour des hommes.”

source : Les Couilles sur la Table. 

Et c’est là où l’on doit être vigilent.e : le gros problème avec le male gaze, c’est qu’il participe à la banalisation des violences faites aux femmes, en commençant par la culture du viol. 

La culture du viol, c’est tout ce qui – dans le culture, l’art, le cinéma, la peinture, etc – participe à la glamourisation d’un comportement masculin connoté comme étant virile, un comportement de prédateur. Les films de James Bond en sont un bon exemple puisque les violences faites aux femmes y sont montrés comme étant des actes érotiques. Un autre exemple qui m’a fait sortir de la salle de cinéma : les scènes de sexe dans Le Loup de Wall Street. Avez-vous compris que le héros du film viole sa femme plusieurs fois ?

Une fois que vous aurez pris conscience de cela, vous n’apprécierez plus les films de la même manière. Et c’est tant mieux.

Le male gaze appauvrit notre sexualité

Comment ça le regard masculin participe à l’appauvrissement de notre sexualité ? On voit pourtant des culs partout, ça couine, ça gémit ! Oui, mais… Le rapport hétérosexuel s’arrête au moment où l’homme à joui. 

Vous n’avez jamais remarqué que la femme est très rarement montrée en train de jouir ? Ou du moins, le point de vue sera toujours celui d’un homme (levrette, vue sur les fesses, les seins, vue de près, etc). Les scènes de sexe filmée avec le male gaze sont souvent en plan fixe. Alors qu’en réalité, deux corps (ou plus) qui font l’amour : ça bouge ! Et puis… Le corps des hommes est rarement montré de manière érotique dans ces moments intimes. Alors que nous aussi, on aime voir des culs ! (eh non, là ce n’est pas du male gaze que je vous sers mais du female gaze – qui n’est pas l’inverse du regard masculin mais une quête d’un regard plus équilibré.).

Enfin, on en revient à l’image du corps des femmes : les corps normés sont les seuls qui sont fétichisés. A croire que les femmes qui ne conviennent pas à ces normes n’ont pas le droit d’avoir une sexualité ! 

Maintenant qu’on a compris le concept du male gaze et pourquoi c’est un problème, je vais vous proposer plusieurs pistes pour faire en sorte de vous en défaire… Mais déjà d’en avoir conscience, c’est un grand pas !

Comment se défaire du male gaze ? 

Faire le test de Bechdel

Le test de Bechdel, ou test de Bechdel-Wallace vise à mettre en évidence la sur-représentation des protagonistes masculins ou la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction. Merci Wiki !

Comment ça se passe ? 
On note :
1. si deux personnages féminins sont nommés dans le film,
2. si elles ont une conversation ensemble
3. et si cette conversation parle d’autre chose qu’un homme. En 2016, 40% des films ne passaient pas le test. 

Précision : faire ce test, c’est nécessaire pour mieux comprendre les stéréotypes. Ici, vous aurez la possibilité de comprendre la place réelle des femmes dans la culture cinématographique.

Imaginer comment une scène aurait pu être tournée autrement 

Prenons une scène ultra connue de James Bond : quand Halle Berry sort de l’eau. James Bond la regarde à travers ses jumelles – you perv ! – puis la caméra va s’attarder sur chaque courbe de l’actrice. A ce moment là, le réalisateur nous indique que l’on doit prendre du plaisir en regardant cette scène puisqu’on regarde ce corps, de cette manière, depuis cette perspective. 

Imaginer comment cette scène aurait pu être tourné autrement devient vite intéressant. On aurait pu, par exemple… la filmer du point de vue de Halle Berry qui sort de l’eau : elle aurait vu ce mec chelou la mater avec ses jumelles et aurait pu s’offusquer par un “no way, josé !”. Ou bien… on aurait pu filmer la première interaction entre les deux protagonistes, sans la domination de l’un sur l’autre. 

Autre exemple : la scène de sexe de La Vie d’Adèle. Bah, on voit des culs. Beaucoup de culs. Les fesses des deux actrices principales. Sauf que… cette scène arrive à un moment où les deux femmes ont développé des sentiments forts l’une envers l’autre. Est-ce qu’on aurait pas pu juste s’attarder sur leurs regards, sur leurs visages, sur l’émotion qui aurait pu s’en dégager ? 

Tout compte fait… Le problème, ce n’est pas de dire qu’il faut arrêter de prendre du plaisir en objectivant car on peut aimer regarder des fesses, des seins, des pectoraux, etc. La solution, c’est plutôt de se dire qu’on peut envisager d’autres manières de prendre du plaisir. Voyez ? 

Écouter les épisodes des Couilles sur la Table

Très clairement, ce podcast est un vrai classique, une référence des déconstructions patriarcales. Deux épisodes sont dédiés à ce regard masculin… Enfin, plutôt un, puisque le second aborde le thème du female gaze. Je vous recommande d’écouter ces épisodes fort intéressants. Le premier dure moins de 40 minutes et le second moins d’une heure. Vous allez survivre ! 

Regarder des séries réalisées par des femmes et recommandées par Iris Brey :

Iris Brey est spécialiste des représentations du genre et de la sexualité dans le cinéma et les séries télévisées. Elle recommande dans cette vidéo 4 séries à regarder pour apprécier une série qui ne passe pas par le filtre du male gaze. Parmi ces série, il y a Girls. 

Girls a été écrit et produit par Lena Dunham, qui incarne également le rôle principal. J’ai vite été une passionnée par cette série parce que j’aimais le fait qu’elle dérange. Elle dérange par la sincérité de la sexualité, des corps, des émotions que l’on voyait à l’écran. Pour une fois, on admirait autre chose qu’un canon de beauté prendre plus ou moins son pied. Pour une fois, on pouvait se retrouver en chacune de ses filles, malgré toute leur complexité. 

Lena Dunham a été l’une des premières à filmer des corps nus et sexualisés qui ne sont pas dans la norme. Elle montre que son corps potelé, avec des bourrelets, de la cellulite, est désirable. Et puis, elle réussit un truc incroyable : à force de la regarder, on finit par changer son propre regard et par la trouver belle. Est-ce que c’est pas ça finalement qu’on a envie de faire ? Changer notre regard pour apprécier toutes les beautés, pour avoir un regard multiple sur ce qui nous entoure ? 

Je vous laisse y réfléchir.

xoxo
Elena sans H