Pourquoi Emily in Paris se moque de la sororité ?
Visiblement, nous sommes nombreu.x.ses à avoir laissé de côté notre dignité intellectuelle pour nous affaler devant la série Netflix bourrée de clichés : Emily in Paris. Aucun jugement (ou presque), car j’ai moi-même passé un weekend entier à regarder ce truc décrit comme étant “frais et léger”. Mais voilà, il y a une chose qui m’a frappée : la capacité de cette série à se moquer de la sororité. Concrètement, comment ça s’est traduit ? Je décrypte ça pour vous. Attention, cet article contient plein de spoils.
Temps de lecture : 8 minutes.
Si vous voulez comprendre ce qu’est la sororité, je vous suggère de lire cet article dans lequel je décrypte ce mot (et promis, c’est ultra accessible !).
Lorsque je regarde un film ou une série, mon filtre féministe s’active immédiatement. Je note presque inconsciemment comment sont traitées les femmes. Pour cette série, j’étais curieuse de voir comment le féminisme et la sororité seraient intégrés.
Pourquoi ?
Darren Star, le réalisateur d’Emily in Paris est aussi à l’origine de la série culte Sex and the City. J’avais donc quelques attentes quant au traitement féministe de cette nouvelle série. Certes, les héroïnes de Sex and The City parlent avant tout de leurs aventures amoureuses et sexuelles. Mais il y a une vraie solidarité entre chacune de ces femmes : une amitié inconditionnelle et sans jugement. Alors, je m’attendais aussi à retrouver cette atmosphère dans Emily in Paris, d’autant plus que nous sommes en 2020, dans une ère féministe revendiquant le besoin de sororité.
Mais voilà…
Un élément saute aux yeux : le manque de modernité de la série : les fringues, les lieux choisis (le Café de Flore n’est plus in depuis probablement 1975), le féminisme. Un féminisme traité avec superficialité… J’y reviendrai plus bas.
Malgré mes recherches, personne n’a encore su mettre le doigt sur le fait que la série a invisibilisé les conséquences de #MeToo et #BalanceTonPorc en France. Nous avons vécu cela et c’est aussi grâce au traitement médiatique de ces événements que la vague féministe actuelle prend une grande ampleur et que la sororité est devenue l’un de nos mots d’ordre (enfin pas une sororité inconditionnelle hein, faut pas déconner. Perso Morano, j’ai pas envie de la prendre pour ma soeur).
Bref
Voyons plus concrètement, comment Emily in Paris se moque de la sororité “à la française”.
Les femmes âgées sont de méchantes sorcières
Une horrible patronne
Sylvie, c’est la big boss de l’agence de marketing pour laquelle bosse Emily et c’est un énorme cliché de la femme française – du point de vue non français. Elle porte des robes très ajustées, a une attitude très sexy, fume des clopes à tout va, mange une feuille de salade par déjeuner et couche avec un de ses clients. On n’aurait pas pu faire plus cliché si on avait essayé. Sylvie, c’est surtout une femme affreuse envers sa collègue américaine.

Emily quant à elle, est jeune, enthousiaste et talentueuse. Elle tente de faire preuve de sororité envers Sylvie en lui répétant sans cesse “we are in the same team” (traduction : nous sommes dans la même équipe), pour lui signifier qu’elle ne cherche pas à aller contre elle dans l’accomplissement de son travail.
Ok, la relation est posée. Sylvie est une vieille sorcière aigrie qui n’accepte aucun changement et lèvera jamais le petit doigt pour la soutenir. Nan mais… dans quel monde on est ? Pas le mien en tous cas.
Dans chacune de mes rencontres professionnelles ou non avec des femmes plus âgées, j’ai ressenti un vrai soutien de leur part. Alors, oui, nous n’avions pas forcément le même avis sur tout et c’est normal.
Toutefois, la sororité de la part de nos aînées est profondément sincère. Elles ont envie qu’on réussisse, qu’on devienne la nouvelle génération de femmes qui gravissent des marches encore plus hautes que les leurs. C’est – au contraire – souvent avec des femmes de ma génération que j’ai eu quelques difficultés relationnelles. Tout cela pour dire que… J’aurais tellement aimé qu’on sorte du cliché de la parisienne froide et tellement blasée par la vie qu’elle se venge sur tout ce qui a moins de rides qu’elle.
Les autres femmes sont aussi de méchantes sorcières
La fleuriste, la boulangère… et ne parlons pas de la gardienne ! Toutes sont des femmes âgées et TOUTES ont un comportement infâme envers l’héroïne. Elles lui crient dessus, la reprennent sur son français, tirent une tronche de 3km de long, etc. Selon moi, elles représentent cet imaginaire de la sorcière méchante tandis qu’Emily, c’est la princesse, la petite fée. Voyez ?
Un manque cruel de modernité s’exprime ici : la figure de la sorcière reprise – probablement inconsciemment – par le réalisateur. Plutôt que de peindre le portrait de femmes plus âgées qui partagent leurs savoirs, c’était plus facile de s’engouffrer dans la brèche d’une figure à qui l’on n’a pas envie de ressembler.
Encore une fois… Nous sommes en 2020. Le stéréotype de la sorcière a été déconstruit maintes et maintes fois. Je vous invite d’ailleurs à lire le fabuleux Sorcières de Mona Chollet pour comprendre le phénomène.
Le mec avant les meufs
Je pose à nouveau la situation :
Gabriel, c’est le hot voisin d’Emily. D’abord, qui a déjà eu une voisin comme ça à Paris ? Et ensuite, qui irait se doucher chez un inconnu parce qu’on a un problème d’eau chaude ? Pas moi en tous cas. Vive le gant de toilette et le bidet !
Camille, c’est la parisienne ultra sympathique et enjouée qui prend Emily par la main pour qu’elle puisse se sentir intégrée. C’est surtout la petite amie de Gabriel.
Emily… aaaah Emily. Elle s’amourache hyper vite d’un Gabriel – dont le comportement dans la vraie vie serait considéré comme hyper flippant. Malgré le fait qu’elle découvre la relation amoureuse entre Gabriel et Camille, elle continue de l’envisager. Au point où elle mettra en péril son amitié avec Camille… pour un mec. Faut-il que ces propos soient misandres ? En tous cas, choisir un mec à la place d’une amitié n’a jamais été une bonne idée.
La performance du mec avant le bien-être de la meuf
Dans l’épisode 8, Emily se rend en Champagne pour découvrir l’exploitation de Champagne de la famille de Camille.
Elle participe à une dégustation animée par le frère de Camille. Emily et ce mec flirtent un peu mais rien de bien méchant. Le soir venu, ils finissent par coucher ensemble.
Sauf que… le lendemain matin, Emily se retrouve dans une situation des plus gênantes : elle réalise, alors à table avec la famille, que le frère de Camille est mineur et que c’était fort probablement sa première relation sexuelle. C’est alors que la mère de Camille intervient et invite Emily dans son bureau. Plutôt que de se soucier du bien-être d’Emily, de son ressenti face à cette situation, elle s’inquiète des performances de son fils ayant clairement berné l’héroïne.
Une américaine qui donne des leçons aux françaises
Alors oui, on peut apprendre beaucoup de choses du féminisme américain. C’est d’ailleurs là-bas qu’est né l’écoféminisme et de nombreux autres mouvements féministes. Les études de genre y sont aussi particulièrement réputées. Toutefois, j’aurais aimé qu’on ne peigne pas un portrait de la femme française qui accepte sans crier gare la sexualisation du corps d’une femme.
Rappel : dans l’épisode 3 se tourne une scène de pub digne des meilleures années du male gaze. Franchement… Après #MeToo et #BalanceTonPorc comment peut-on sérieusement imaginer qu’une quelconque agence de pub proposerait ce genre de contenus ? Ce mouvement de dénonciation est passé par la France aussi. Les marques sont plus que vigilantes sur ces sujets (même s’il reste évidemment des progrès à faire).
Ce qui me dérange le plus, c’est le fait qu’Emily l’Américaine donne une leçon de féminisme aux françai.se.s. Alors oui, elle a raison de s’interposer et de poser naïvement la question “sexy or sexist?”. Mais, je suis convaincue que dans une situation plus proche de la réalité, n’importe quelle française aurait exprimé son mécontentement face à cette idée grotesque de mettre une femme nue aux milieu d’hommes qui la matent.
Malgré tout, il y a du positif
Mais voilà… Ce n’est pas mon genre de peindre un portrait complètement sombre. Il y a de vrais élans de sororité qu’il faut reconnaître à cette série. Selon moi, ils sont incarnés par Mindy.

Elle ne connaît pas Emily mais se montre présente pour elle et fait preuve d’un soutien sans faille. De leur côté, les amies de Mindy lui rendant visite, expriment aussi une belle sororité en ne jugeant pas les choix de Mindy en la poussant à faire ce qu’elle aime.
La série permet aussi aux personnes peu ou pas sensibles au féminisme, de réaliser que tout un tas de choses ne sont pas normales. Les clichés sont tellement évidents qu’il est difficile de les ignorer.
Plus de vrai pour une suite ?
Y’aura-t-il une saison 2 avec une sororité sur tous les fronts ?
Des femmes plus âgées qui sont vraiment sympathiques, l’amitié qui prend le dessus sur tout, des femmes racisées au premier plan, etc.
Mais aussi avec une Emily in Paris qui s’aventure dans le vrai Paris ? Celui de Barbès, Ménilmontant et Porte de Saint-Ouen ? A voir…
xoxo
Elena sans H
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