La sororité, c’est quoi ?

On l’entend un peu partout en ce moment, et pourtant : savez-vous ce que veut réellement dire « sororité » ? De sa définition première à son utilisation militante aujourd’hui, je décrypte pour vous ce qu’est la sororité.

Temps de lecture : 8 minutes. 

Définition

La sororité vient du latin soror, signifiant “soeur”. C’est l’attitude, le lien de solidarité féminine. 

Plus encore, c’est le fait de donner la priorité à son entourage féminin en adressant notre soutien psychique, physique et moral face à n’importe quel type de violence sexiste, comme l’exprime Pauline Armange dans son essai “Moi les hommes, je les déteste” : 

“Pour moi désormais, la priorité est d’assurer une présence solide pour les femmes de mon entourage. Je veux qu’elles puissent se sentir en sécurité en ma compagnie, qu’elles sachent que, si elles sont victimes d’une agression sexiste, je serai toujours de leur côté. Je les croirai, sans remettre en question un instant la véracité de ce qu’elles me confient. Je ne chercherai pas à minimiser ce qu’elles ont vécu ni à leur imputer une responsabilité.”

D’où ça vient ? 

Si vous êtes une personne née dans les années 80 ou 90, vous avez certainement entendu parler des “sororités”. Ces groupes d’étudiantes des universités américaines représentées dans la pop culture – et notamment dans les comédies (romantiques) – par des clichés féminins : l’intello, la pulpeuse populaire, la pompom girl, etc. Bref, des bandes de filles vivant sous le même toit, ayant les mêmes règles. En tous cas moi, c’est ainsi que j’ai entendu le mot “sororité” pour la première fois. 

J’avais envie de vivre ce truc qui semblait typiquement américain, le fait de se réunir entre filles, de se donner de la force, de pouvoir compter sur son groupe coûte que coûte. Sauf que ces filles devenaient souvent terribles entre elles et manquaient alors de… Sororité.

La sororité comme terme féministe à une toute autre origine.

C’est en 1970 que ce mot apparaît dans la sphère féministe, d’abord aux Etats-Unis. Robin Morgan, alors poétesse et figure du féminisme radical, publie son ouvrage au titre évocateur : Sisterhood is Powerful. Vibrant, non ? 
Peu à peu, la formule apparaît lors de manifestations sur des pancartes, des badges ou des flyers distribués par les militantes féministes.

Inspirées par leurs homologues américaines, les militantes françaises du Mouvement de Libération des Femmes reprennent ce terme pour le franciser. C’est là qu’est née la sororité. Elles l’expriment notamment à travers l’Hymne des Femmes repris lors de la marche #NousToutes de novembre 2019 (c’était si beau !)

Pourquoi la sororité est nécessaire ?  

Une réponse politique face au patriarcat

La sororité n’est pas le contraire de la fraternité. Ce n’est pas une forme de front face à la fraternité qui exclut par essence les hommes, non. La sororité vient en réponse à la fraternité. 

En effet, celle-ci s’est exprimée après des élans de fraternité dite “universelle”, sauf que… Bon nombre d’exemples montrent que la fraternité exclut automatiquement les femmes des décisions politiques. Comme le dit Florence Rochefort, historienne des féminismes et chercheuse au CNRS : 

« On considère encore que la fraternité serait toujours universelle alors que tout prouve le contraire. Ceux qui continuent à soutenir cela, et à se demander pourquoi les femmes font scission, refusent de reconnaître l’exclusion à l’intérieur même des concepts d’universel et de fraternité. » 

Par ailleurs, la révolution de 1848 qui marque l’adoption de la devise « Liberté, égalité, fraternité » par la IIe République, est aussi la date d’instauration d’un suffrage universel masculin : elle signe ainsi la constitution d’une communauté politique masculine, dont les femmes sont exclues.
C’est ainsi que la sororité s’exprime comme une réponse politique face au patriarcat. Les femmes doivent s’unir pour conquérir des droits acquis par les hommes. Je pense notamment au droit de vote, pour lequel les Suffragettes se sont levées avec une ferveur justifiée. Rappel : le droit de vote pour les femmes en France n’a que 75 ans… 

Une réponse commune face aux violences sexistes

Quarante ans après le chant du Mouvement de libération des femmes et les militantes féministes américaines, la sororité a le vent en poupe. Et pour cause… Il y a 2 ans, la sororité s’est exprimée mondialement grâce au hashtag #MeToo : un appel rassemblant toutes les femmes à exprimer le fait qu’elles aussi, elles ont un jour été victimes de violence(s) sexiste(s).

#MeToo a eu d’énormes conséquences sur la considération des violences sexistes. Mais ce mouvement ne s’est pas arrêté là. Ou du moins… C’est grâce à la sororité qu’est né ce mouvement.
En fait, pour la première fois, la sororité est devenue réellement intersectionnelle (je reviendrai sur ce point plus bas) : elle a réuni toutes les femmes entre elles dans la lutte contre les violences sexistes. Peu importe leur milieu social, leur couleur de peau ou leur langue. 

Depuis, on nous rappelle constamment (et ce n’est pas une mauvaise chose) qu’il est bon de faire preuve de sororité. #MeToo a permis de créer concrètement du lien entre toutes les femmes

“L’affaire Weinstein et le mouvement #Metoo, qui ont rappelé l’urgence de mettre en commun les expériences individuelles de violence, de sexisme et de discrimination, pour permettre un projet collectif et donc politique.”

Les limites de la sororité

Depuis le début de son apparition dans la sphère féministe, les militantes ont mis en lumière des limites à la sororité.

L’invisibilisation de l’injustice sociale 

Gloria Jean Watkins, connue sous son nom de plume bell hooks, dénonce dans les années 80 l’idée que la sororité exprimée jusqu’alors, participe à l’invisibilisation des femmes subissant les oppressions sociales et raciales. Cette sororité étant proclamée par des femmes blanches issues de milieux bourgeois. Elle remet en question l’idée que les femmes subissent “une oppression commune” en soulignant le fait que les femmes racisées et issues de milieux défavorisés sont victimes de plusieurs dominations : la domination de classe, la domination blanche et la domination patriarcale. 

C’est aussi ce qu’il se passe aujourd’hui dans le milieu écolo / féministe : les femmes racisées s’expriment de plus en plus fort pour faire valoir leur place dans les débats. Et c’est tant mieux. 

Même si #MeToo a réuni des femmes de toutes origines, tous milieux sociaux autour d’unea oppression commune qu’est le patriarcat, il est bon de rappeler de ne pas invisibiliser les autres luttes sous prétexte qu’un dénominateur commun réunit toutes les femmes. Et c’est là où l’intersectionnalité intervient : le féminisme intersectionnel intègre les différences entre femmes, et offre donc la possibilité d’aller au-delà même de la notion de féminisme.  

Un diktat patriarcal

Vous avez déjà entendu quelqu’un dire “mais c’est une femme, tu te dois d’être gentille envers elle, fais preuve de sororité”. Bah en fait non. Je ne dois rien du tout à personne. Si cette femme fait preuve d’une misogynie intégrée (comportement misogyne que l’on n’a pas déconstruit) ou si elle est raciste, violente ou quoique ce soit d’autre, je n’ai pas à être gentille avec elle, sous prétexte qu’elle est une femme. 

« A l’origine, la ‘sororité’ signifiait que l’on avait besoin de s’unir pour obtenir des choses. Plus tard, c’est devenu l’obligation d’être gentille envers toutes les femmes. »

En fait, la sororité n’implique pas la nécessité d’être solidaire envers toutes les femmes tout simplement parce que les désaccords existent et que parfois, le débat est impossible. Dans ce cas (ou dans d’autres), on peut se désolidariser d’une femme. 
Je considère cette injonction à la sororité comme un diktat patriarcal. Pourquoi ? 
Parce qu’on nous somme d’être gentille envers les autres femmes… Comme si nous ne savions que faire cela, être gentille (ça, c’est de la misogynie intégrée). Sauf que non. Nous pouvons être en colère, exprimer une frustration, une opinion différente, une incompréhension face à une femme. Et donc nous ne devons à personne d’être nécessairement solidaire envers absolument toutes les femmes. 
Perso, les seules fois où j’ai reçu ce genre de remarques, c’était par des mecs… 
Toutefois, j’aurais du mal à accuser une femme de quoi que ce soit sans preuve. Tout comme un homme en fait. 

L’adelphité : faut-il aller au-delà de la sororité ? 

Tout comme la fraternité est critiquée par les féministes pour son manque d’inclusion, la sororité est elle aussi remise en question. Selon la politologue Réjane Sénac, la sororité “n’est ou ne sera neutre et universelle”.

En gros, on déplore le fait que la sororité ne concerne que les femmes dans une société composée à moitié d’hommes. M’enfin, tout a été décidé qu’entre hommes jusqu’alors donc bon… Oui, ne reproduisons pas les mêmes schémas si on ne veut pas tomber dans un jeu de domination…
C’est alors que l’adelphité apparaît : “désigne des relations solidaires et harmonieuses entre êtres humains, femmes et hommes”. source : https://cutt.ly/MhrPLOk

On fait d’une pierre deux coups avec ce terme puisqu’il permettrait de dépasser la binarité des termes de fraternité et sororité en incluant les personnes non binaires. 
Pour autant… Je suis partisane du fait qu’il est temps de laisser plus de place aux femmes. Qu’il est bon aussi d’inclure les hommes dans nos luttes, s’ils le souhaitent, s’ils sont en cours de déconstruction, etc. Mais de là à demander d’aller au-delà de la sororité… Je crois que pour le moment, il est un peu tôt. 

Lire, regarder, écouter de la sororité 

Parce qu’il est souvent bon de s’inspirer de ce que nos artistes, militantes, journalistes, font pour se remettre en question, voici 3 idées de choses à lire, regarder ou écouter à propos de la sororité : 

Et si le féminisme nous rendait heureuse, Pauline Arrighi

On peut dire que tous les bouquins féministes parlent de sororité, et d’une certaine manière : c’est tout à fait vrai. J’ai choisi de mettre en lumière ce bouquin puisqu’il a été pour moi, une introduction concrète à la sororité, s’exprimant à travers le féminisme. Retrouvez une critique complète juste ici

Les filles du Docteur March

Ce film retrace le parcours de 4 sœurs au 19ème siècle qui, malgré leurs différences, se soutiennent, s’écoutent, s’encouragent à aller plus loin que ce que la société leur impose. 

La Poudre

Si vous ne connaissez pas encore ce podcast de Lauren Bastide, il est encore temps de sortir de votre grotte. Retrouvez les interviews de femmes artistes, activistes, qui parlent du fait d’être femme (ou de devenir femme) aujourd’hui. Ce que j’aime dans ce podcast ? Le lien qui se tisse au fil de l’écoute entre Lauren Bastide et son invitée. Le soutien exprimé entre les lignes, par ces femmes.

Testez votre sororité : 

Répondez “oui” ou “non” à chacune des questions* : 

  1. Vous soutenez les femmes de votre entourage en les écoutant, en les épaulant, en étant présentes pour elles ?
  2. Vous défendez vos collègues féminines dans une réunion ? 
  3. Vous ne jugez pas une autre femme par rapport à sa tenue, son maquillage ou tout autre élément extérieur ? 
  4. Vous ne coupez pas la parole à une femme ? 
  5. Vous mettez en avant d’autres femmes : des autrices, illustratrices, influenceuses, artistes, etc ?
  6. Vous acceptez les femmes peu importe leur style, orientation sexuelle, métier, milieu social ?

Vous avez répondu “oui” à toutes les questions ? Alors, vous faites preuve de sororité. Vous avez répondu “non” à au moins une question ? Alors vous pouvez faire mieux. 
*cette liste est non exhaustive. 

Si vous avez des exemples de sororité, partagez-les en parlant de cet article ou en le commentant !

xoxo
Elena sans H

Les sources de l’article :

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/04/la-sororite-n-est-elle-qu-une-fraternite-au-feminin_6031727_3232.html

https://www.nouvelobs.com/rue89/notre-epoque/20180611.OBS8006/au-fait-d-ou-vient-cette-sororite-sans-cesse-invoquee-par-marlene-schiappa.html

https://lesglorieuses.fr/intersectionnalite/?v=11aedd0e4327

8 Replies to “La sororité, c’est quoi ?”

  1. Bonjour,
    Merci pour l’information. C’est instructif.

    1. Merci d’avoir lu !

  2. Intéressant et instructif, sans être militant.( C’est au masculin car je parle de l’article !).
    Merci ma sœur !

    Nadine G.

    1. Merci Nadine ! 🙂
      En effet, ces articles ont une vocation journalistique et donc de neutralité.
      Je profite d’autres contenus et de ma newsletter pour apporter mon point de vue militant. 🙂
      N’hésite pas à t’y inscrire !

  3. Bonjour, Je vais commencer par un merci pour ton article qui a été pour moi une bonne réponse à la question de qu’est que la sororité. J’ai quelques petites remarques qui peuvent faire avancer le débat et combat des féministes. Je pense personnellement que le genre ne rentre pas en compte dans la véracité d’un propos où même dans l’envie de solidarité envers une personne. Je sais que je défend ardemment la justice mais celle ci n’a pas de genre. Donc je comprends le combat des femmes (et de certains hommes depuis peux) pour faire évoluer la pensée et les schémas parentaux mais pour autant je ne suis pas certain que c’est la meilleure manière d’opérer. Car j’ai longuement eu du mal à comprendre pourquoi on réfléchissait on agissait d’une manière injuste. Que ce soit les hommes ou même les femmes. J’ai eu une réponse de l’hypnothérapeute qui m’a dit que l’on se construit par rapport à nos modèles parentaux. J’en ai déduis beaucoup de chose une d’entre elle est en rapport direct avec votre sujet. Vu que l’on suis l’apprentissage de nos parents et de nos proches nous avons une vision trop étriqué des choses et l’on a tendance à réagir aux expériences passées de nos parents/ proches se qui fausse nos jugements. Voyant se que les générations passées ont fait subir aux femmes nous avons tendance à nous ranger de leur côté pour défendre quelque chose qui est révoltant en s’attaquant aux actions du présent (qui sont d’ailleurs que le reflet du modèle que l’on veut perpétué ou s’en détaché mais toujours en prenant ses modèles en références) la seule solution serait de s’affranchir de nos modèles pour ne pas combattre ou perpétué les erreurs passées. recommencer une société ou chacun part avec un modèlede pensée épuré. Effectivement j’ai tendance à croire en la capacité de chacun à voir correctement les choses c’est quelque peu utopique. Pour conclure je pense que le vrai combat est en chacun de nous.

    1. Hello Florian,
      J’apprécie de te lire et je constate que tu as une vision utopiste de la société.
      Oui, ça serait super de pouvoir tout remettre à plat, tout recommencer et vivre en harmonie et parfaite équité.
      Mais aujourd’hui, ce n’est pas possible.
      Je pense que la question du genre est indispensable à prendre en compte, car au-delà du foyer familial, nous avons été socialement construits selon notre genre assigné à la naissance. Nous ne pouvons pas omettre cela dans nos réflexions, échanges et luttes.

  4. Bonjour et merci pour ces précieuses infos !
    Je suis psychologiquement affectée par une femme Aurore (s-oror-ité) que j’admire dans sa façon de vivre en fourgon aménagé et que j’ai accepté d’accueillir chez moi le temps que mon ami lui fasse les réparations puisque sa cabine a pris feu. Aux apparences très cool et à l’énergie très basse j’ai cessé de donner ma confiance et ma joie de vivre puisqu’elle me tient tête et fait comme chez elle ! Merci donc pour votre point de vue qui me rassure et me permet d’éloigner la culpabilité ! Elle-même sœur de deux autres femmes j’étais ravie puisque j’ai grandi avec trois frères mais très vite les gens profitent de ma bonté et devienne des relations toxiques auxquelles il est compliqué de mettre un terme ! Heureusement ma foi est permanente et je sais que je suis bien guidée !!! Namasté.

    1. Le plus important, dans n’importe quel type de relation, c’est d’écouter son intuition.
      Courage à vous !

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