Revenu au centre des débats, le féminisme intersectionnel s’impose peu à peu comme un modèle à suivre. Mais savez-vous vraiment ce qui ce cache derrière ce concept féministe ? Un mot qui fait peur de par son apparente complexité, un terme peu connu du grand public… Grâce à ce nouveau décryptage, vous aurez les clés pour répondre à la question “le féminisme intersectionnel, c’est quoi ?”, même en soirée.
Temps de lecture : 8 minutes.
Définition du féminisme intersectionnel
Prenons le temps de décortiquer ce concept du vocabulaire féminisme :
- Mettons de côté le mot “féminisme” pour se concentrer sur le terme d’intersectionnalité. ça paraît tout de suite moins complexe, non ?
- A quoi vous fait penser “intersectionnalité” ? Mais si… Vous l’avez, j’en suis sûre.
Dans “intersectionnalité” ou “intersectionnel”, il y a : intersection. Dans quel contexte utilise-t-on le mot “intersection” le plus souvent ? Indice : vroum, vroum. Mais oui ! Les intersections sont utilisées pour désigner des routes qui se croisent : en voiture, en train, en bus, en vélo, etc.
Alors, si on ajoute du féminisme à tout ça, qu’est ce que ça donne ?
Un féminisme intersectionnel est un féminisme où toutes les routes se croisent, dans lequel il y a plein d’intersections. Ces intersections représentent toutes les discriminations dont sont victimes les minorités dans notre société. Parmi ces oppressions, on peut citer le racisme, le classicisme, le validisme, l’âgisme ; ou encore l’oppression due à sa religion ou son orientation sexuelle (liste non exhaustive).
Le féminisme intersectionnel, c’est l’idée de prendre en compte toutes les intersections. C’est-à-dire, toutes les discriminations que peuvent subir les femmes, dans leur individualité. C’est la convergence des luttes qui offre la place à chacune d’exister, de se faire entendre*.
“L’intersectionnalité propose d’envisager les luttes contre les discriminations sous plusieurs angles : économique, social, ethnique, religieux.”
Hanane Karimi
*je précise ici qu’en tant que femme blanche issue de classe moyenne aisée, la seule oppression que je subis dans notre société, est celle d’être femme. Mon rôle tend plutôt vers la déconstruction de mes réflexes de domination à l’encontre d’autres femme pour intégrer et visibiliser les oppressions qui ne sont pas les miennes dans ma manière de lutter.
Les origines du féminisme intersectionnel
L’idée émerge aux Etats-Unis dans les années 70, au sein des mouvements afro-féministes : on dénonce un féminisme orienté uniquement autour de la femme blanche éduquée.
Dans les années 80, bell hooks – dont je vous parlais dans mon article sur la sororité – dénonce également l’absence de considération des oppressions subies par les femmes racisées et issues de milieux défavorisés.
En 1989, la juriste américaine Kimberlé Williams Crenshaw fait apparaître ce terme pour la première fois. Elle propose une analyse qui lève le voile sur les discriminations dont sont victimes les femmes noires et précaires aux Etats-Unis, notamment face au système judiciaire. Elle utilise la métaphore de l’intersection routière pour expliquer qu’au croisement des routes, il y a un accident (d’où mon introduction !).
Pour Kimberlé Williams Crenshaw, l’intersectionnalité est une situation dans laquelle une personne regroupe « des caractéristiques raciales, sociales, sexuelles et spirituelles qui lui font cumuler plusieurs handicaps sociaux et en font la victime de différentes formes de discrimination ». Le féminisme intersectionnel vient lutter contre toutes ces discriminations à la fois.
“Alors que les hommes noirs ne sont touchés que par le racisme et les femmes blanches par le sexisme, les femmes noires quant à elles subissent les deux oppressions. C’est cette rencontre, ce croisement que l’on appelle intersectionnalité.”
Vox Pop, « L’intersectionnalité sert-elle le féminisme ? »
Depuis, le féminisme intersectionnel a évolué vers la reconnaissance de toutes les oppressions ainsi que l’inclusion de toutes les minorités.
Le féminisme intersectionnel, à quoi ça sert ?
Il se peut que vous lisiez ces lignes en vous demandant à quoi sert le féminisme intersectionnel, puisque finalement c’est du féminisme. Oui, mais… Chaque forme de féminisme défend des valeurs propres à son concept. C’est pourquoi, je vous propose d’aller un peu plus en profondeur dans l’analyse du concept de féminisme intersectionnel.
Mettre en lumière les inégalités multiples
Comme évoqué plus haut, le féminisme intersectionnel tient ses origines dans les revendications des féministes noires américaines à inclure les discriminations qu’elles subissent dans les luttes anti-sexistes.
Plutôt que de considérer un ensemble comme étant opprimé par la société patriarcale et donc discriminé uniquement pour des raisons sexistes, le féminisme intersectionnel va nous proposer de s’intéresser à l’individualité de celles qui constituent le mouvement. On prend alors en compte la situation sociale, ethnique, économique, physique des femmes pour inclure leurs problématiques dans les luttes. Comme le dit Hanane Karimi dans un entretien avec France Inter, “le féminisme intersectionnel permet (…) la prise en compte d’autres dimensions que la dimension hommes-femmes.”
Respecter l’individualité de chacune
Si on considère les inégalités multiples qui existent au sein d’un même groupe, on considère alors par essence l’individualité et la complexité de chacun.e. C’est même l’une des exigences – si on peut appeler cela ainsi – du féminisme intersectionnel : selon le mouvement, pour lutter efficacement, il est primordial de considérer et de respecter l’individualité de chacune.
Les engagements ne s’arrêtent pas là. L’autre élément distinctif de l’intersectionnalité, c’est qu’il va aussi permettre aux personnes qui composent le mouvement, de prendre conscience des systèmes de dominations. Quand on est dominé.e, on peut aussi devenir dominant.e. Ainsi, des femmes reproduisent le système de domination masculine, parce qu’elles sont blanches et ne considèrent pas les problématiques des femmes racisées. Ou parce qu’elles sont âgées et dénigrent les jeunes féministes (coucou Madame Deneuve !). Voyez ?
Créer des liens entre toutes les femmes
Prendre conscience de la mécanique dominant.e / dominé.e permet une prise de conscience des privilèges qui peuvent nous constituer. C’est aussi réaliser qu’on peut – inconsciemment ou non – participer à priver certaines femmes de l’accès à leurs droits, parce que l’on applique une logique dominante sur elles. Je pense qu’il n’est pas utile d’avoir honte de ses privilèges. Cependant, il est utile d’en avoir conscience pour pouvoir les utiliser à bon escient : laisser la place, faire preuve d’empathie, se servir de ce que l’on sait pour aider celles qui nous entourent.
Le féminisme intersectionnel permet de mieux comprendre les situations qu’on ne vit pas, pour reconnaître la légitimité d’autrui et son expertise à témoigner de sa propre situation. Mais j’insiste sur ce point : le féminisme intersectionnel n’est pas là pour sauver les femmes subissant de multiples oppressions ou créer des ruptures et des conflits. Si l’intersectionnalité existe, c’est pour créer du lien, pour offrir la possibilité à chacune d’être considérée pour ce qu’elle est.
Les critiques envers le féminisme intersectionnel ?
Le féminisme intersectionnel n’étant pas la seule forme de féminisme, il est normal de voir quelques critiques émanant çà et là. C’est l’incarnation de toute la complexité de l’être humain qui s’exprime alors. Tentons de comprendre ces critiques pour enrichir notre point de vue.
Le féminisme universaliste
Le débat entre les féministes universalistes et intersectionnelles est assez enflammé : les opinions sont très divergentes sur des sujets particulièrement polémiques comme le port du voile et la laïcité.
Le féminisme universaliste vise avant tout la lutte contre le sexisme. L’universalisme ne conçoit pas – entre autre – que la religion puisse être autrement que patriarcale et considère également la prostitution et la pornographie comme telles. Pour ces raisons, le féminisme universaliste critique le féminisme intersectionnel avec l’argument que la lutte commune (celle contre le sexisme) est oubliée au profit de luttes anti-racistes. Enfin, c’est la forme de féminisme la plus répandue en France, au niveau institutionnel et étatique.
Cet article n’ayant pas pour sujet principal le féminisme universaliste, je vous invite à lire les sources indiquées en bas de page pour aller plus loin.
La complexité des débats sur le port du voile
Peut-on dire que les débats sur le port du voile ne sont pas complexes ? Je ne crois pas. Il est nécessaire de prendre en compte les raisons pour tel ou tel mouvement d’exprimer son opinion. Mais n’est-il pas encore plus nécessaire d’écouter les femmes directement concernées par ces débats, à savoir : celles qui portent le voile ? C’est la position du féminisme intersectionnel. Revenons dessus.
Quand les féministes universalistes demandent l’interdiction du voile sous couvert de laïcité, les féministes intersectionnelles s’inquiètent des effets néfastes sur les femmes qui portent le voile. Si l’on admet que les femmes sont forcées à porter le voile par leur entourage, l’interdire dans les espaces publics les oblige à rester dans leur sphère intime. C’est donc l’effet inverse de ce qui est voulu par l’interdiction du port du voile. Au contraire, si l’on admet que les femmes décident elles-même de porter le voile, ces lois deviennent d’autant plus discriminantes en leur bloquant l’accès au marché du travail, aux lieux culturels, etc. Enfin, l’intersectionnalité ne considère pas la religion musulmane comme nécessairement patriarcale. Je vous invite à lire l’autobiographie de Malala Yousafzai, qui explique très clairement que ce sont les interprétations qui peuvent être patriarcales.
L’universalisme quant à lui et comme évoqué ci-dessus, considère le voile comme un outil de domination patriarcale. L’avocate allemande et musulmane, Seyran Ateş, décrit le voile comme l’expression d’une “vision misogyne (qui) considère le corps féminin comme une tentation sexuelle.”. Pour elle, le voile islamique est une oppression masculine au même titre que toutes les injonctions faites aux femmes.
Et aujourd’hui, le féminisme intersectionnel c’est quoi ?
Outre le débat sans fin sur le voile islamique, le féminisme intersectionnel est aujourd’hui considéré comme un exemple à suivre. A tel point que la commission européenne a adopté cette année, une perspective intersectionnelle dans sa nouvelle stratégie pour l’égalité des genres.
En France, c’est Rokhaya Diallo qui l’incarne à travers ses conférences, ses interviews, son podcast ou encore ses ouvrages.
Aux Etats-Unis, l’intersectionnalité a également le vent en poupe et peut être simplement expliquée avec des pizzas:
Pour moi, c’est l’écoféminisme qui représente cette intersectionnalité : la convergence des luttes sexistes, sociales et environnementales. Est-ce que ça mérite un article dédié ? Oui.
Au fait, vous avez envie de savoir quel est le féminisme qui vous ressemble le plus ? Faites le test juste ici : https://www.tdg.ch/_external/interactive_wch/tdg/2019/feminisme/index.html
Voici mes résultats :
Comprendre le féminisme intersectionnel, grâce à la culture
Comme à chaque fois, j’aime vous emmener encore plus loin à travers des propositions culturelles diverses et variées. Peu importe si vous préférez lire, écouter ou regarder, voici de quoi éveiller l’intersectionnalité en vous :
- Arte fait toujours des merveilles avec ses documentaires. Ici, un aperçu bref mais complet sur le féminisme intersectionnel : https://www.arte.tv/fr/videos/102521-002-A/intersectionnalite-sert-elle-le-feminisme-vox-pop/
- En 2019, je suis allée à une projection inédite de ce film documentaire, avec la présence de la réalisatrice. Pour moi, pas de doute : c’est un documentaire écoféministe qui aborde aussi bien les problématiques sociales qu’environnementales, portées par des femmes : Warrior Woman
- Marchez dans les rues de Paris ou d’ailleurs, en écoutant un échange sur l’intersectionnalité avec Lauren Bastide et Mame-Fatou Niang : https://nouvellesecoutes.fr/podcast/la-poudre/
- Lire la BD de Rokhaya Diallo : https://www.marabout.com/mexplique-pas-la-vie-mec-9782501146678
- Le bouquin de bell hooks :
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Toutes mes sources :
https://lesglorieuses.fr/intersectionnalite/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Intersectionnalit%C3%A9
https://www.facebook.com/watch/?v=811788849368547
https://www.cairn.info/revue-diogene-2009-1-page-70.htm
https://www.arte.tv/fr/videos/102521-002-A/intersectionnalite-sert-elle-le-feminisme-vox-pop/
https://roseaux.co/2020/03/les-differents-feminismes-en-france/
J’ai appris tant de choses en lisant ton article😊 y inclus qu’il y a encore beaucoup à apprendre; sur mes propres opinions parfois pas toujours bien informés et sur des concepts acquis de ma génération. Cette lecture (et celle de ta newsletter) m’ ont permises de commencer un bon dépoussiérage idéologique 🤪.
Merci beaucoup maman !
Je suis heureuse de pouvoir rendre accessible tous ces concepts, mais aussi de savoir que mon travail te touche et te permet d’apprendre encore !
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