Mardi matin, 10h25 :
– « On va voir ce film ? »
– Avec Juliette Armanet ? Évidemment !
Deux jours et demi plus tard, nous voilà installés confortablement dans la salle 10 de l’UGC Les Halles, paquets de chips en main. Le générique commence… Un peu long, je trépigne. Enfin s’affiche (en rose) : Partir un jour, un film d’Amélie Bonnin.
De quoi parle Partir un jour d’Amélie Bonnin ?
J’avais hâte de découvrir cette histoire, ses personnages, son style, sa bande-son. D’abord parce que je suis une fangirl de Juliette. Ensuite, parce que l’idée d’une scène de patins à glace sur une reprise de K-Maro est irrésistible.
Partir un jour, c’est l’histoire de Cécile, une femme à la croisée des chemins – la fin de la trentaine, le début de la quarantaine – qui retourne au bercail. Elle y retrouve son passé, son présent et peut-être un bout d’avenir, le tout entremêlé de liens compliqués avec les hommes de sa vie.
C’est doux, mais ça pique un peu.
Un film qui a résonné avec mon moment de vie
Je l’ai vu dans un contexte particulier.
Juste avant, j’avais vécu une situation émotionnellement déroutante, dans une semaine qui l’était tout autant. Mots-clés à analyser (pardon my pudeur) : sentiments amoureux passés, rencontre inopinée, révélation consternante, chef cuisinier.
Cécile est aussi cheffe. Difficile alors, de ne pas faire de ponts entre mon histoire et la sienne. J’ai mis un peu de temps à entrer dans le film…
Et pourtant, malgré ce brouhaha intérieur, je suis ressortie de la salle véritablement émue. Allez voir ce film. Vraiment. Voici pourquoi, à travers trois angles :
– la sociologie du retour au bercail
– le regard féminin d’Amélie Bonnin
– l’esthétique d’une ode à la nostalgie
C’est parti ?
Le retour au bercail d’une parisienne : qu’est-ce que ça veut dire ?
Ce retour se joue à plusieurs niveaux :
→ le grain du film
→ la playlist ultra nostalgique
→ le retour de Cécile chez ses parents
Une esthétique de VHS
L’image est douce, mélancolique. Le grain rappelle les cassettes VHS qu’on rembobinait encore et encore. Comme une porte ouverte vers nos souvenirs d’ado ou d’enfant. Dès les premières scènes, on est invité·e à plonger dans son propre passé.
Une playlist comme madeleine de Proust
Impossible de parler de Partir un jour sans mentionner sa bande-son. Céline Dion, K-Maro, Yannick, 2Be3… J’ai grandi avec tout ça. Alors oui, ça touche. Si vous êtes né·e dans les années 80 ou 90, ce film, c’est une bobine de souvenirs.
J’ai adoré toutes les scènes : la sincérité, le naturel, le côté “on chante comme dans la vraie vie”, la posture de Juliette Armanet quand elle reprend Sensualité en cuisine, Bastien Bouillon et Ces Soirées-Là, François Rollin et Cécile, Tewfik Jallab et son aura de BG.
Tout m’a donné envie d’y être et de participer à ces chansons.
Revenir chez ses parents
Cécile, parisienne accomplie, bosse sans relâche pour ouvrir son resto. Elle s’écoute peu. Soudain, un coup de fil : elle rentre, direction le restaurant routier où elle a grandi.
Elle arrive avec ce bagage-là : le rejet et la honte d’un passé très modeste. Elle vient « en parisienne », prête à mettre cette part d’elle-même à distance.
Je comprends. J’ai grandi en banlieue et pendant longtemps, j’ai eu honte de le dire. C’était pas stylé. Une fois installée à Paris, je passais chez mes parents en coup de vent, pressée de retrouver “ma vie”.
Puis j’ai dû rentrer en octobre dernier, pour une durée indéterminée. Et j’ai compris. Compris la violence de ce rejet, du rejet cette vie de banlieusarde. J’ai renoué avec tout : ma banlieue, ma mère, mon père. En tant qu’adulte, cette fois.
Alors, l’apaisement que Cécile trouve à la fin du film ?
Je le vis, moi aussi. Chaque jour.
Zoom sur le regard féminin
J’en ai parlé dans un précédent article : le regard féminin au cinéma, c’est quand le personnage féminin devient sujet.
La caméra d’Amélie Bonnin
Amélie Bonnin, aussi directrice artistique de La Déferlante, signe ici son premier long métrage. Elle y raconte une femme à la fois libre et engoncée, hors des normes mais pas vraiment à la marge.
Sa caméra filme sans morceler. Elle laisse le personnage féminin ressentir, désirer, bouger. Elle nous donne la possibilité de se mettre “à la place de”, sans voyeurisme.
Et moi, j’ai ressenti avec Cécile. Tellement que je suis devenue elle. Même si j’avais la main dans un paquet de chips à la cacahuète.
Juliette Armanet, ou l’émotion incarnée
Cécile est une femme qui ne doute pas avant son retour au bercail. D’un coup, elle revoit les pages de son histoire et se demande si ses choix sont les bons. Elle repart puis reste. Elle s’énerve puis pleure. Elle ressent, elle est là. Dans toute son humanité avec ses imperfections et sa sensibilité.
Et les hommes ?
Quelle place pour eux dans un film centré sur une femme ?
Il y a le père, avec qui le lien est complexe (coucou papa). L’amour d’ado, toujours un peu là. Les potes, les routiers, son mec.
Les hommes ne prennent pas toute la place. Ils apportent des nuances, comme des échos à la mélancolie de Cécile. Sans héros, sans salauds. Même si la question se pose pour Raphaël qui semble être le mec mignon mais un peu lâche que l’on a toutes connu.
Le style comme narration silencieuse
Le style vestimentaire en dit long sur les personnages. Je crois que j’adorerai bosser sur le stylisme d’un film.
Cécile : Salomons blanches, Levi’s peut-être vintage, banane, veste teddy. C’est un style de parisienne identifiable.
Raphaël : entre ado et adulte avec joggings, Air Max, chemises à carreaux et cheveux décolorés.
Sofiane : pulls fins, cols travaillés. Il est beau, il le sait, il le montre. C’est probablement le personnage le plus embourgeoisé.
À travers les vêtements, chaque personnage raconte d’où il vient. Et ce qu’il veut montrer… ou cacher.
Partir un jour, c’est revenir autrement ?
Ce film est une capsule temporelle, douce et piquante. Il nous montre comment le passé peut ressurgir, comment il peut être difficile à regarder en face après l’avoir longtemps fui. Et en même temps, il y a cette tendresse : le rapport aux parents, aux copains d’avant et à soi.
Partir un jour, ce n’est pas un grand discours. C’est une émotion simple, intime. C’est un entre-deux : deux âges, deux lieux, deux versions de soi.
Et peut-être que partir un jour, c’est parfois apprendre à revenir autrement.
xoxo
Elena sans H